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Petite réflexion sur la décroissance

Petite réflexion sur la décroissance - Extraits
réflexion livrée par les auteurs après un court voyage à vélo
“Quand la simplicité est déjà un concept étrange, envisager la décroissance est littéralement un défi.Livre de la décroissance (2)
Comment parler de décroissance quand tout, toujours, à chaque instant, vous parle au contraire de courbe ascendante ?
Toutes les valeurs de notre société s’appuient sur l’ascendant, du cours de la bourse à l’augmentation du chiffre d’affaire en passant par les notes des enfants à l’école ou la consommation des ménages.
L’idée de diminuer n’est pas de mise hors la perte de poids obligatoire des veilles de vacances, des chiffres du chômage et du recul de la délinquance, et encore là, il s’agit de perdre pour gagner en sex-appeal, en croissance économique et en sécurité.
Ici-bas, tout se calcule à la hausse, d’ailleurs tout ce qui ne crois pas s’élimine de lui-même, le retraité qui ne fait pas de la consommation une priorité n’intéresse plus les publicitaires et les médias, devient transparent pour les actifs. C’est un inactif, oh ! le beau mot, entendez : qui ne crée plus rien, n’est plus capable, ne sert à rien, n’existe plus.
Notre société ne peut imaginer décroître parce que cela signifierait pour elle perdre, renoncer, abandonner, descendre, délaisser…tout un vocabulaire négatif dépourvu d’avenir.Livre de la décroissance (23)
Si l’on souhaite braiment réfléchir sur le concept de décroissance, il faut surement d’abord tenter de voir si la croissance rime vraiment  avec le mot bonheur.
Certainement se dégagera une vision plus juste, loin de celle que nous impose  un vocabulaire choisi par celles et ceux qui souhaitent toujours plus de bénéfices.
La courbe en hausse de la bourse m’apporte-t-elle du bonheur ?
Le chiffre d’affaire en hausse des entreprises apporte-t-il du bonheur à leurs employés ?
Suis-je heureux quand mon pouvoir d’achat augmente ?
Plus de chaînes sur mon téléviseur fera-t-il de moi un citoyen heureux ?
Plus de travail, plus d’argent, plus vite, aller plus loin, où se trouve mon bonheur dans tous ces plus ?
ELOGE DE LA NON PERFORMANCE EN VOYAGE
Comment échapper à la ligne droite ?
Dites que vous avez fait le tour de la Bretagne à vélo et votre interlocuteur vous demandera si vous avez eu beau temps. Dites maintenant que vous avez fait Paries Barcelone par les mêmes moyens et une grande admiration vous sera accordée alors même que les distances sont identiques.
La différence réside dans la perception qu’on a de la ligne droite par rapport à la courbe. La droite s’accompagne d’une notion de performance qui force le respect qu’on ne trouve pas dans la courbe. Cette dernière véhicule l’idée de la balade de santé.
Tourner en rond, c’est être inefficace. Aller tout droit, droit au but, symbolise la détermination, la vivacité, le rendement. Les voyages rapides qui nous sont imposés (TGV, autoroute, avion) annulent le voyage comme déplacement et résument ce dernier à sa destination. Le voyage n’existe plus. Le voyage décroissant implique de bousculer les fausses perspectives de la droite et de la destination.
Le voyage décroissant (à vélo, à pieds, à cheval ….) est soumis aux intempéries, à la condition physique et à l’humeur du voyageur. C’est un déplacement perturbé par le moindre aléa qui ne répond pas aux exigences de précision et de sécurité de nos civilisations informatisées.
L’idée de décroissance doit se satisfaire du déplacement, même minime, du cheminement, de la pérégrination[1], jusqu’à négliger d’atteindre le but fixé.
Réconcilier l’homme avec le voyage, c’est retrouver le plaisir de la tribulation, de la contemplation, de la rencontre fortuite, de la découverte proche, la satisfaction de vivre l’instant plutôt que de croire à l’illusion d’un plaisir rendu exotique par la distance qui nous en sépare.
Le nomadisme choisi [2], ce voyage de vie, est une rupture d’avec le quotidien, une mise à l’épreuve permanente de ses certitudes et de son confort, une recherche en soi de ses réels besoins, une redéfinition du nécessaire, du manque et de l’envie.
Notre aventure nous conforte dans l’idée qu’au cœur du monde, nous pouvons fonctionner autrement sans se priver et sans se marginaliser.”




[1] Pérégriner : Aller çà et là, de place en place, de contrée en contrée.

[2] Pas le nomadisme dû à la crise économique, pour ceux qui subissent une décroissance forcée, une disparition totale de liberté, de choix. Leur nomadisme rime avec déclassement et perte de repères